JUIVE,
PHILOSOPHE, CARMELITE
ET MARTYRE
Edith STEIN est née le 12 octobre 1891, un jour de Kippour, à Breslau en Allemagne. Elle était la dernière des 11 enfants d’une famille juive pratiquante. Pourtant, leur judaïsme n’étant que statique et fait de coutumes. La petite fille intelligente, à l’esprit vif, assoiffée de connaissance se détourna peu à peu de la religion de ses parents. En grandissant, elle s’intéressa à la philosophie dans laquelle elle se jeta à corps perdu et qui, lui amenait des réponses plus satisfaisantes qu’une religion de tradition, sans réflexion ni étude. Pourtant, le judaïsme germanique de l’époque était un espace d’intense vie intellectuelle. Les philosophes, qu’elle fréquentait maintenant, étaient souvent des juifs convertis au catholicisme. C’était le cas de Samson Raphaël HIRSCH ou d’Ariel HILDESHEIMER par exemple. Edith STEIN passa ainsi à côté du monde judaïque pluriel, des confrontations et des courants du judaïsme allemand d’une extraordinaire richesse. A l’âge de 31 ans, en 1922, elle se convertit au catholicisme. Elle y trouva la réponse à ses questions et fut persuadée que le peuple juif payait depuis des siècles son refus de reconnaître le Christ comme messie. En 1933, à la naissance du nazisme alors qu’elle avait 42 ans, elle devint carmélite et porta le nom de sœur Thérèse Bénédicte de la Croix. Malgré son départ d’Allemagne pour le carmel d’ECHT au Pays-Bas, elle fut arrêtée avec sa sœur et 1300 juifs convertis, déportée à AUSCHWITZ et gazée dès son arrivée le 9 septembre 1942.
Toute sa vie à la recherche de la vérité fut, en réalité, faite de
contradictions. Elle n’oublia jamais le peuple d’où elle venait. Elle
respecta le jeûne de Kippour, qu’elle pratiquait sans exception depuis l’âge
de 13 ans, même après sa conversion. Elle parlait de "son" peuple et
disait "nous" au sujet des
juifs. Cependant, pour elle, la culpabilité perpétuelle des juifs ne faisait
pas de doute. Jamais elle n’adhéra au courant, pourtant important en
Allemagne, qui cherchait un dialogue créatif avec les juifs. Pire, après la
douloureuse "Nuit de Cristal", alors que de nombreux intellectuels,
journalistes, militants chrétiens criaient à la barbarie du régime nazi,
Edith STEIN prononça cette phrase désolante : "C’est l’ombre de
la croix qui tombe sur mon peuple". Une autre de ses citations traduit
parfaitement l’ambiguïté de ses sentiments. Caïn représentant le peuple
d’Israël qui a tué le Christ, elle dit "Caïn doit être poursuivi,
mais malheur à qui touche Caïn !".
En
béatifiant Edith STEIN le 1er mai 1987 à Cologne puis en la
canonisant le 9 août 1998 à Rome, Jean-Paul II fit naître une polémique.
"Pourquoi avoir choisi une juive pour commémorer les martyrs chrétiens du
nazisme" dit le grand rabbin René Samuel SIRAT. S’agit-il d’une
tentative délibérée de récupération de l’holocauste, d’une
"christianisation de la Shoah" comme se sont inquiétés le grand
rabbin de France Joseph SITRUK, Raphaël DRAÏ et de nombreux autres
intellectuels ? Même si le souci premier du Souverain Pontife était de
favoriser le dialogue entre juif et chrétiens, canoniser Edith STEIN était
maladroite, c’est le moins que l’on puisse en dire. Quel est le sens de la
Journée de la Shoah, annoncée par le pape, le jour même de la disparition de
cette juive convertie ? Que penser de la consternante béatification du
cardinal STEPINAC, qui couvrit les massacres des juifs par les Oustachies que même
les nazis trouvaient "trop cruels", et de la multiplication des croix
à AUSCHWITZ qui sont autant
d’insultes à la mémoire. Quoique puisse faire Jean-Paul II, la Shoah n’est
pas le drame des chrétiens. C’est le drame de tous ceux qui, justement,
n’ont pas voulu devenir chrétiens. Edith STEIN est morte d’être juive, son
sacrifice est juif et elle le partage avec les six millions de juifs victimes du
nazisme.
Alain
BERREBI
Références :
-
LICIA R. - Edith Stein est
une martyre juive - L’Arche 1998 ; 489 : 45-46.
- DANIEL J. - Edith Stein, deux fois sainte ? - Le Nouvel Observateur - 1998 ; 15-21 Octobre : 4.
-
TERRAS C. - Il existe chez le Pape une volonté consciente de s’approprier la
souffrance. Actualité Juive -
1998 ; 585 : 5
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