LAZARE LOUIS ZAMENHOF : DOKTORO ESPERANTO

 

L’idée d’une langue universelle a cheminé lentement à travers les siècles. La première tentative sérieuse fût l’œuvre d’un prêtre allemand en 1879, Johann Martin SCHLEYER (1831-1912),qui créa le Volapük. Mais ce dialecte tomba rapidement dans l’oubli. Un jeune étudiant en médecine juif polonais, Lazare Louis ZAMENHOF (1), publia une brochure contenant une grammaire, un vocabulaire et quelques textes sous la signature "Doktoro Espéranto" : le docteur qui espère. Ainsi  naquit l’Espéranto...

 

 

La Tour de Babel

Lazare  Louis ZAMENHOF (2, 3) est né le 15 décembre 1859 à Bialystok, petite ville de la Pologne russe où sa famille était venue s’installer. Selon la coutume, ses parents adjoignirent au prénom juif El Azar (transcrit sous forme de Lazare ou Leizer sur les  registres d’état civil) le prénom chrétien de Louis (ou Ludwig). Au XIX ème  siècle la ville de Bialystok, naguère appelée la "Versailles de Podlachie", porte le surnom moins glorieux de "Manchester du Nord". Bien que souffrant de la même misère, les trente mille habitants vivaient dans un climat d’hostilité, de crainte et de méfiance. On y comptait surtout des russes, des polonais, des allemands, des lithuaniens et des juifs. Chacune de ces communautés mettaient un point d’honneur à s’exprimer dans sa propre langue. Très jeune Zamenhof eut conscience de cette disparité, elle même génératrice de conflits permanents, et songea à y remédier. Dans son esprit imprégné par la Bible, la comparaison fut rapide entre sa ville et la Tour de Babel (4). "Toute la terre avait une même langue et des paroles semblables. Or, en émigrant de l’Orient, les hommes avaient trouvé une vallée dans le pays de Sennaar, et s’y étaient arrêtés" . "Ils dirent : allons, bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet atteigne le ciel ; faisons-nous un établissement durable pour ne pas nous disperser sur toute la face de la terre. Dieu descendit sur la terre pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils de l’homme. Et il dit : voici un peuple uni, tous ayant la même langue ; c’est ainsi qu’il ont pu commencer leur entreprise...". "Et, ici même, confondons leur langage de sorte que l’un n’entende pas le langage de l’autre. Dieu les dispersa donc de ce lieu sur toute la face de la terre, les hommes ayant renoncé à bâtir la ville. C’est  pourquoi on la nomma Babel (5), parce que là Dieu confondit (du mot hébreu balal) le langage de tous les hommes".

            Les Polonais y sont en minorité, 3000 tout au plus, tous catholiques. Les Russes et biélorusses, orthodoxes, 4000 et les Allemands, protestants, 6000. Les juifs sont les plus nombreux, 18000 environ. Bien que majoritaires, ils soient la cible du mépris général. Qu’on soit russe, polonais ou allemand on s’entend toujours quand il s’agit du juif. Celui-ci ne connaît que brimades, humiliations et insultes. C’est dans cette atmosphère que Lazare grandit. En 1873, la famille Zamenhof quitta Bialystok pour Varsovie. Agé seulement de 14 ans, en se séparant de sa ville natale, Lazare avait déjà une idée qui germait depuis plusieurs années dans son cerveau d’enfant : créer une langue universelle qui permettrait aux hommes de s’entendre, de vivre en paix (4, 6), en conjurant la malédiction divine. Il possédait alors parfaitement le russe, l’allemand, le français et l’hébreu, un peu moins bien le latin, le grec , le yiddish et l’anglais. Fils et petit fils de professeurs de langue, Lazare paraissait prédestiné à s’engager dans la voie familiale de l’expression orale et à mener à bien son rêve. Ses sentiments d’humanistes, il les doit à sa mère Rosalia. Elle était nourrie de profonds sentiments religieux, contrairement à son mari, et avait éduqué le petit Lazare dans l’amour de son prochain. "Nous sommes tous les enfants d’un même Dieu", lui rappelait - elle souvent.

 

 

Naissance de l’Espéranto

 

 

De 14 à 19 ans Zamenhof travailla concrètement à la création de sa langue universelle. Il établit le vocabulaire en choisissant, pour chaque mot, le terme le plus euphonique, le plus précis, l’expression qui ne pouvait prêter soit isolement soit dans un corps de phrase à aucune équivoque, à aucun homonyme. Son travail s’effectuait dans le plus grand secret à cause du régime totalitaire en place à cette époque en Pologne.

            Parallèlement, il étudia la médecine d’abord à Moscou puis à Varsovie. En 1885, il débuta comme médecin généraliste dans la ville lithuanienne de Veiseyai. Son travail était tellement apprécié qu’il gagne rapidement la réputation de "bon docteur". Cependant, il décida que le métier de généraliste n’était pas conforme à son tempérament et se tourna vers l’ophtalmologie en prenant tout particulièrement en charge les pauvres et  les défavorisés.

Horrifié par les pogroms de 1881, il adhéra au mouvement sioniste. En 1882, il fut l’un des fondateurs des "Amants de Zion" et écrivit pour le périodique en hébreu "Ha-Séfira". Il commença même à travailler sur un manuel  de grammaire en yiddish et sur la création d’un état juif dans le Mississippi.

            En 1887, Zamenhof publia un ouvrage intitulé « Lingvo Internacia » (langue internationale) sous le pseudonyme "Doktoro Espéranto" (docteur qui espère). Le nom espéranto désignera, par la suite, la langue elle-même (7 à 10). Apparentée aux langues dites agglutinantes (japonais, coréen, turc, finnois...), l’espéranto permet de former une multitude de mots à partir d’un nombre limité d’éléments. L’invariabilité des éléments de base le rapproche des langues isolantes (vietnamien, chinois,...). Toute lettre ne représente qu’un son, quelle que soit sa place. L’espéranto s’écrit donc comme il se prononce et se prononce comme il s’écrit. Sa grammaire est simple, fondée sur 16 règles ne comportant aucune exception. Son vocabulaire est formé par des racines (maximum 10 à 12000) auxquelles on ajoute une ou plusieurs lettres caractéristiques.

            En 1889, Zamenhof publia la première revue en espéranto, "La Espérantisto", éditée par le World Espéranto Club jusqu’en 1895. En 1898, la première association nationale espérantiste fut créée en France, suivi par celle de Grande-Bretagne en 1904. C’est également en France, à Boulogne-sur-Mer, qu’eut lieu en 1905 le 1er congrès universel espérantiste qui rassembla 688 participants venus de 20 pays. Un hymne espérantiste fut crée à cette occasion dont les paroles furent écrites par Zamenhof lui-même et la musique par le compositeur français Du MESNIL. Zamenhof a décrit avec une grande émotion cette première réunion où il vit la réalisation pratique de son rêve et de ses 25 années d’efforts. Le gouvernement français reconnut l’œuvre de Zamenhof en lui octroyant la Légion d’Honneur. En 1908, Hector HODLER (suisse) fonde l’Association Espérantiste Universelle (Universala Espéranto Asocio). En 1954 et 1985, la Conférence générale de l’UNESCO vote des recommandations en faveur de l’Espéranto. Depuis 1905, des congrès internationaux se tiennent régulièrement dans de nombreux pays du monde (11, 12, 13). Plusieurs pays, par l’intermédiaire de leur émission de timbres, ont commémoré certains de ces congrès comme le 6ème à Moscou (14, 15), le 10ème à Rio de Janeiro (16), le 30ème à Sofia (17), le 35ème à Bourgas (18), le 38ème à Zagreb (19), le 48ème à Sofia (20), le 63ème à Varna (21), le 64ème à Luzerne (22), le 66ème à Anvers (5) et le 75ème à La Havane (23). Celui de 1987 à Varsovie, à l’occasion du 100ème anniversaire de l’espéranto (24 à 27), regroupa 5943 participants de 73 pays.

            L’espéranto est une langue facile à apprendre et à parler. Plus de 33000 ouvrages ont été traduits, de la Bible au Petit Livre de Mao en passant par Shakespeare. Une littérature espérantiste originale se développe également. Une centaine de périodiques sont édités en espéranto. De nombreuses stations de radio et télévision diffusent des émissions en espéranto. Des facultés et établissements scolaires enseignent cette langue. Pourtant elle ne se propage que lentement malgré sa large diffusion dans les cinq continents.

 

 

De l’indifférence à la haine

 

 

Le congrès de Cambridge, du 12 au 17 août 1907 (28), réunit 1300 espérantistes venus de 35 pays. L’espéranto a 20 ans et Zamenhof a totalement conscience de l’ampleur de son œuvre. Au fond de lui, il caressait le rêve que sa langue universelle servirait un jour à unir les hommes dans une fraternité sans faille (4, 6, 29). Il dit un jour : "si l’espéranto ne devait pas remplir sa mission universelle et servir seulement à des commerçants ou à la diffusion d’idées politiques, je préférerais que l’on m’arrachât le cœur". Pourtant, le temps ne paraît pas proche où l’on enseignera l’espéranto comme seconde langue dans le monde entier (8). Ceci pour trois raisons essentielles. D’abord les pays totalitaires ont pourchassé, de tout temps, l’espéranto qui véhicule un idéal politique pacifiste ; entre les deux guerres, Hitler et Staline interdirent l’usage de l’espéranto alors que c’était en Allemagne et en URSS qu’il y avait le plus d’espérantistes organisés. Ensuite, le nationalisme est tel que d’importants efforts sont faits pour que des langues comme le français ou l’anglais soient imposées comme langues internationales. Enfin, il manque à l’espéranto une assise politico-économique ; toutes les langues, sans exception, sont portées au départ par des raisons culturelles ou religieuses, économiques et politiques ; l’espéranto, lui, n’a qu’une base spirituelle qui rend sa tâche extrêmement difficile.

            Zamenhof mourût le 16 Avril 1917 (30, 31), à 58 ans, prématurément vieilli par la maladie, le travail et la lutte perpétuelle pour promouvoir l’espéranto. Il connut la douleur de voir la première guerre mondiale arrêter net la diffusion de sa langue. Pendant la seconde guerre mondiale, les Nazis persécutèrent les enfants et les petits enfants de Zamenhof qui furent tous massacrés, sauf un fils miraculeusement sauvé du ghetto de Lodz par des espérantistes polonais. Zamenhof repose dans le cimetière juif de Varsovie. Sur sa tombe, une étoile verte à cinq branches qui symbolise à jamais l’espéranto, verte pour l’espérance et à cinq branches pour les cinq continents (32 à 36). Le grand romancier H.G. WELLS lui rendit hommage en disant de lui qu’il fut "l’un des plus beaux exemples de cet idéalisme international qui est le don naturel du judaïsme à l’humanité".

 

  Alain BERREBI

Références :

 

·        CENTASSI R., MASSON H. - L’homme qui défié Babel. Eds RAMSAY- PARIS - 1995.

·        WIGODER G. - Zamenhof, Ludovic Lazarius - In "Dictionary of Jewish biography". Eds SIMON and SCHUSTER - NEW YORK - 1991 : 561-562.

·        JAKUBOWICZ J. - L’espéranto - In "Etudes et recherches du docteur Jean KOHN" . Eds de l’Amicale Philatélique France - Israël - 1996 : 96-100.

·        ENCYCLOPEDIE UNIVERSALIS - Espéranto - 1995.

·        FREMY D., FREMY M. - Langues universelles - In "QUID" - Eds LAFFONT - 1997 : 125-126.

 Remerciements : à Mme TRARIEUX Andrée, de BEZIERS, pour ses conseils ainsi que pour les nombreux timbres et vignettes qu’elle a eu la gentillesse de m’adresser.

  L’iconographie de cet article peut être obtenue sue demande.

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