LA NAISSANCE D’UNE COMPAGNIE AERIENNE

 

 (par Armand Bachus)

 

 

                d’après un article d’Arnold Sherman paru dans « Miroir de l’Histoire »

(les combats d’Israël) – n° 290

 

 

La nouvelle compagnie aérienne avait été baptisée d’un nom étrange : « EL AL » (littéralement « vers le haut, vers les cieux ») par David Remez, nouveau ministre des transports.

                                                                                                                                     Le premier président d’Israël, le Dr Haïm Weizmann, se trouvait en Suisse. Il était impératif de le transporter avec son épouse en Israël. Toutes les compagnies d’aviation avaient interrompu leurs vols le 14 mai 1948 et la Suisse neutre ne voulait pas d’un avion militaire israélien dans son ciel.

                                                                                                                                    Un DC4 fut donc retiré de l’Armée de l’Air, repeint, muni de son nom étrange aux consonances bibliques.  Al Auerbach, un membre du Mahal, l’organisation des pilotes volontaires de l’étranger, fut choisi pour le commander. Cet ancien de l’US Naval Air Force, californien juif, était arrivé en Israël en 1948. Sous le nom hébraïsé de Hillel Bahir, il s’était déjà forgé une réputation parmi l’équipe de volontaires qui avaient repris le manche à balai au service d’Israël. Les uns l’avaient fait par idéalisme, d’autres pour l’argent, d’autres encore par goût de l’aventure. Ses camarades, juifs et chrétiens, venaient des U.S.A., d’Afrique du Sud, du Canada, d’Autriche, d’Angleterre, d’Irlande, de Suède, des Pays Bas. Ils comptaient un Peau Rouge et un Noir. Ytshak Henneson était copilote, il était un des rares pilotes formés en Israël en 1948. C’était déjà un ancien, il avait commencé comme membre de l’Aéroclub de Palestine, avec des avions légers et des planeurs. Les Britanniques ne permettaient pas aux juifs d’organiser un entraînement militaire. Les pilotes étaient formés sous camouflage civil. Le navigateur était un Hollandais, Joshua Marash, 24 ans, chargé d’organiser le premier vol civil de l’histoire d’Israël. Il fallait aussi installer l’intérieur de l’avion. On fit venir de Tel Aviv deux canapés recouverts de velours et on les boulonna au plancher. On trouva quelques fauteuils dans des épaves d’avions britanniques, on accrocha un rideau pour séparer la cabine du poste d’équipage, on trouva même de la moquette, etc…

 

Quand le DC4 Skymaster quadrimoteur fut prêt, Marash rencontra son équipage à l’hôtel Bristol. Il remit au commandant Auerbach un paquet de devises fourni par le Ministre des Finances, Eliezer Kaplan. Les Suisses n’auraient certainement pas fait crédit à EL AL en 1948…

 

Il pleuvait cette nuit là, une pluie pour donner un peu de fraîcheur à ce mois de mai. A bord de l’avion presque vide, on avait installé des réservoirs auxiliaires pour ce vol de 9 heures Ekron-Genève. Il n’était pas question d’escale. Ni Athènes ni Rome n’entraient en ligne de compte, les Anglais et les Américains y auraient créé des difficultés. L’appareil repeint fut prêt à décoller… Il s’enfonça dans la nuit.

 

Le vol vers Genève fut sans histoire. L’équipage de réserve se retira dans la cabine nouvellement aménagée. Ils avaient l’habitude des vols cargos qui avaient transporté de nombreuses cargaisons d’armes et de munitions en Israël. C’était pour eux un vol banal. Les Suisses se montrèrent stupéfaits quand le premier appareil civil israélien toucha Genève. Les autorités de l’aéroport avaient évidemment été informées de l’arrivée de l’avion, mais c’était une première mondiale. Ainsi, ce pays qui se battait encore sur plusieurs fronts avait ses transporteurs aériens !

 

Pendant qu’il se trouvait au sol, le Skymaster DC4 fut gardé par une équipe d’Israéliens spécialement recrutés, et le ravitaillement en essence fut confié à des techniciens triés sur le volet. Haïm Weizmann et son épouse arrivèrent au dernier moment pour embarquer, entourés par une impressionnante escorte de sympathisants. Un retard de dernière minute fut occasionné par l’examen scrupuleux des papiers par les autorités suisses. Mais tous les documents, les premiers de leur genre, étaient parfaitement en règle. A Ekron, régnait une tension difficile à décrire. Les officiers déambulaient nerveusement sur les pistes et les officiels commençaient à arriver. Les heures n’en finissaient pas de s’écouler. Le ciel israélien était toujours chaudement disputé par les avions égyptiens et il fallait à tout prix que l’avion se posât avant l’aube. L’avion apparut enfin, point noir qui grossit rapidement aux premières lueurs de l’aube. Tout était fin prêt au sol, une garde d’honneur de l’armée était constituée – deux rangs de grands gaillards de 1m80 ressemblant à s’y méprendre à une parfaite garde d’honneur anglaise, avec des képis d’un blanc de neige – . Les cuivres de la musique militaire étincelaient. La passerelle qu’on avait assemblée tant bien que mal avait l’air utilisable. On la poussa contre la porte de l’avion dès qu’il se fut immobilisé. Le vol avait réussi, escorté par une escorte d’avions Spitfire en contact radio avec l’avion civil en cette nuit de 1948, vers la base du Néguev. Le soleil n’avait pas encore surgi de l’horizon mais il faisait déjà clair. Puis la Hatikva (l’Hymne National) retentit. Haïm Weizmann, s’appuyant sur le bras de Véra, sa compagne d’une vie, descendit de l’avion.

 

Le premier Président de l’Etat d’Israël était arrivé chez lui et les lignes aériennes d’Israël étaient nées, grâce à une poignée de braves qui avaient pris un risque énorme, de même nature que celui qui avait donné naissance à l’Etat d’Israël…

et à EL AL.

 

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