DE  LA  JUDAICA  ET  DE  QUELQUES  PRIX  NOBEL

MECONNUS  OU  OUBLIES

 

                                                                                                José SALMONA

J’ai, depuis longtemps déjà, éprouvé une curiosité très particulière pour la vie et l’œuvre des grands savants et j’ai pensé concrétiser cet intérêt, en plus des biographies et autres écrits, par une représentation figurative de ces personnages célèbres. J’ai donc décidé d’adjoindre à une collection de timbre, quelque peu disparate, une thématique plus précise, et en particulier celle des « Prix Nobel ».

Instituée par le chimiste suédois Alfred Nobel cinq ans après la signature à Paris de son célèbre testament en novembre 1895, la Fondation NOBEL recevra ses premiers statuts de la main du roi Oscar II de Suède. Les premiers Prix seront accordés en 1901, soit cinq ans aussi après la mort d’Alfred Nobel, en décembre 1896, dans sa maison de San Rémo en Italie.

Le domaine du « NOBEL » se limitait à 5 disciplines : la physique, la chimie, la médecine  & physiologie, la littérature et la promotion de la paix. Plus récemment, en 1968, un prix de Sciences Economiques a été institué par la Banque de Suède à la mémoire d’Alfred Nobel.

La quête de ces personnages illustres a été le point de départ de ma nouvelle collection. Par la suite, tout en maintenant mon intérêt pour les NOBEL, je me suis lancé dans la « JUDAICA ».

Si le NOBEL se limitait à un domaine relativement restreint (les 6 disciplines citées plus haut), la JUDAICA m’offrait un champ plus divers et plus vaste puisqu’il me permettait d’inclure des sujets aussi intéressants, tels les Beaux Arts, l’architecture, la musique, les mathématiques, etc.

Comme la rumeur (et aussi les statistiques) le laisse entendre, 10 pour cent des Prix Nobel seraient juifs ou d’origine juive. Ceci constituait déjà un petit « capital de départ » pour ma Judaïca.

Pour en revenir à mon sujet propre, j’ai choisi de vous présenter des personnages tout aussi méritants que les Bergson, Cassin, Einstein, Bohr, mais qui ont sombré dans l’oubli ou l’anonymat, le temps faisant aussi son œuvre pour les plus anciens.

Robert  BARANY   (1876-1936)

Robert Bârâny, né à Vienne en 1876, y a fait ses études de médecine et obtenu son doctorat en 1900. Spécialisé en otologie, il est nommé maître de conférence à la Clinique Ontologique de Vienne. Ses recherches sur la fonction du labyrinthe (oreille interne) où est situé l’organe responsable de l’équilibre (canaux semi-circulaires) ainsi que des procédures opératoires originales dans l’otosclérose lui ont valu le Prix Nobel en 1914.

En dépit de cette récompense prestigieuse, il ne put obtenir une chaire à l’Université de Vienne en raison de sa judéité.

Au cours de la Première Guerre Mondiale, il servit dans l’armée austro-hongroise.

Ses recherches approfondies dans le domaine de l’otologie ont constitué la base de notre connaissance actuelle sur la fonction du labyrinthe.

En 1917, il est nommé professeur d’otologie à l’Université d’Uppsala en Suède, dont la Faculté de Médecine est une des plus anciennes et des plus réputées d’Europe.

Dans les dernières années de sa vie, il s’intéresse beaucoup au problème de la Palestine et il lègue sa bibliothèque à la Librairie Nationale de Jérusalem.

Karl LANDSTEINER   (1868-1943)

Karl Landsteiner, né à Vienne en 1868, étudie la médecine dans cette ville.

Au cours de ses travaux à l’Institut de Pathologie à l’Université, il fait une découverte majeure sur les différents groupes sanguins  A,  B,  AB et O et met au point les méthodes pour leur recherche et leur identification.

En 1922, il est invité à travailler à « l’Institut Rockfeller pour la Recherche Médicale » à New York où il œuvre jusqu’à sa mort, en 1943.

A la tête d’un groupe de recherche, il découvre, en 1927, des facteurs sanguins complémentaires  M,  N et MN(***) et, en 1940, il est au cœur de la découverte du Facteur RHESUS, facteur responsable de certains accidents lors des transfusions sanguines et des grossesses pathologiques.

Le Prix Nobel de Médecine & Physiologie lui est attribué en 1930,  plus particulièrement pour ses travaux sur les groupes sanguins.

  (***) (M et N sont des antigènes présents dans les globules rouges, formant les types M, N et MN)

Lev Davidovitch LANDAU   (1908-1968)

Physicien russe né à Bakou en 1908.

Enfant prodige en mathématiques, LANDAU termine ses études de mathématiques et de physique aux Universités de Bakou et Leningrad à l’âge de 19 ans.

En 1934, il décroche son titre de « Docteur es-sciences physiques et mathématiques » de l’Université de Leningrad.

Dans l’intervalle, il travaille quelques années (vers 1929-1930) à Copenhague auprès de Niels BOHR, directeur de l’Institut de Physique Théorique (Prix Nobel de Physique en 1922) considéré déjà comme une sommité mondiale dans le domaine de la structure atomique.

En 1931, LANDAU rentre en URSS et il rejoint l’Institut Physico-Technique de Leningrad. En 1937, il prend la tête de l’Institut des Problèmes Physiques de Moscou. Il y développe ses théories sur les propriétés de l’Hélium II et de l’Hélium III en termes de mécanique quantique ainsi que sur la physique des « basses températures ». L’excellence de ses travaux lui valent, en novembre 1962, le Prix Nobel de Physique. Il est également titulaire à deux reprises du Prix Lénine.

En dépit de sa notoriété et bien avant son Prix Nobel, il passe quelques mois dans les geôles russes (1938-1939) à la suite des premières purges staliniennes. Il est libéré sur l’intervention de Kapitsa, autre grand savant atomiste, auprès de Molotov.

Le 7 janvier 1962, sur une route verglacée, un camion heurte de plein fouet une « Volga ». Des débris de la voiture, on sort un homme, le front ouvert, la poitrine enfoncée, le bassin écrasé. Cet homme n’est autre que Lev Landau.

Les médecins vont tout faire pour sauver le blessé. Des spécialistes du monde entier, des chirurgiens, offrent leur assistance. A quatre reprises le cœur de Landau s’arrête – cliniquement, Landau est mort –, quatre fois on le ranime.

Lentement, le blessé se rétablit, il récupère ses facultés intellectuelles. Son merveilleux cerveau n’est pas atteint et en novembre, dix mois après son accident, il se voit décerner le « NOBEL ».

Délaissant le domaine austère de la Science, je vais aborder un sujet plus plaisant, celui de la littérature, avec un Prix Nobel partagé entre Samuel Joseph AGNON et

Nelly SACHS.

Samuel Joseph AGNON   (1888-1970)

De son vrai nom CZACZKES, cet écrivain, né en Galicie en 1888, sera le premier Prix Nobel israélien (1966).

De son père, il reçoit sa première éducation juive classique, de sa mère un penchant pour la littérature allemande. A l’âge de 8 ans il écrit ses premiers vers et, à 16 ans, il publie de manière régulière de la poésie et de la prose en yiddish et en hébreu.

En 1907, il se rend en Palestine et y demeure jusqu’en 1913. Un an plus tard, il publie son premier roman « Agounot » sous le nom de AGNON, qu’il adoptera officiellement en 1924. Pendant son séjour, il participe activement à la fondation de la première ville juive, TEL AVIV.

De 1913 à 1924, AGNON réside en Allemagne, où son œuvre trouve auprès de la jeunesse sioniste un accueil enthousiaste. Il renoue des contacts avec BIALIK et rencontre Martin BUBER.

Il entame une carrière littéraire, écrit plusieurs contes, qui seront publiés à Berlin et à Varsovie.

En 1924, retour à Jérusalem, où il se fixe définitivement.

Son œuvre reflète la vie et la mort du « shtetl » en Europe Orientale. Dans son roman « Le Trousseau de la Mariée », il décrit avec minutie le monde complet et fermé dans lequel baigne le hassidisme galicien. Ce sujet est aussi évoqué dans une autre de ses œuvres « l’Hôte de Passage » (Albin Michel 1974).

AGNON s’intéresse aussi à la vie des premiers pionniers en Palestine, dont la foi pour le travail manuel se substitue à la foi religieuse. Une illustration en est donnée dans son roman « Etmol-Shilshom » (Hier et Avant-hier,  1931).

AGNON a développé un style qui lui est propre, un mélange d’hébreu moderne et de langage talmudique.

Le Prix Nobel de littérature lui est décerné en 1966 pour l’ensemble de son œuvre.

Quelques-unes unes de ses œuvres ont été traduites en français, notamment : « Contes de Jérusalem », « Vingt et une Nouvelles » et « Le Chien Balak ».

 

Nelly SACHS   (1891-1970)

Née à Berlin en 1891 dans une famille de riches industriels israélites originaires de Dortmund, Nelly Sachs commence à écrire dès l’âge de 16 ans. Bien que sa poésie soit tout empreinte de la tradition romantique allemande, Nelly Sachs reste pratiquement inconnue des Allemands. Ses ouvrages, quoique publiés depuis 1947, ne touchent qu’un public limité.

Il aura fallu attendre un peu plus de vingt ans, c’est à dire après que le « NOBEL »

( littérature) lui fut décerné en 1966, pour que son nom apparaisse, en Allemagne d’abord, à la face du monde ensuite.

Dès ses débuts, Nelly Sachs avait entretenu une correspondance avec

Selma Lagerlof, la romancière suédoise. C’est d’ailleurs avec l’aide de celle-ci qu’elle put s’établir en Suède, avec sa mère, en 1940, pour échapper aux persécutions nazies. Le reste de sa famille périt dans les camps de concentration.

Avec l’avènement du nazisme, les lois raciales, l’exil, l’œuvre de la poétesse est tout entière vouée à la mémoire. L’expérience de la haine et de la souffrance la fait se rapprocher du judaïsme. Elle écrit alors, en 1947, un ensemble de poèmes intitulé

« Dans les demeures de la mort » où elle retrace la souffrance dans les camps de la mort et la tragédie du judaïsme européen sous le régime de Hitler ainsi que « l’Obscurcissement de l’Etoile » (Sternverdunklung), évocateur de la fumée noire des fours crématoires.

Par la suite, elle publie une série de trois recueils « Und Niemand Weise Weiter »

(sur le thème de Cain et Abel), en 1959 « Flucht und Verwandlung » (Fuite et Métamorphose) et, en 1966, « Die Suchende » où elle reprend les mêmes thèmes mais les relie à l’Exil, auquel elle confère une puissance de régénération, de retour aux sources, de renaissance.

En la récompensant en 1966, le jury du Prix Nobel reconnaît en Nelly Sachs la plus grande poétesse allemande contemporaine mais, celle-ci étant devenue suédoise, l’Académie de Stockholm distingue un écrivain de « langue allemande » plutôt qu’un écrivain de « nationalité allemande ». Elle avait fait de même en 1946 lorsqu’elle attribua son Prix à Herman Hesse, qui avait acquis la nationalité helvétique.

Ainsi donc, en l’espace d’une génération, ces deux Prix Nobel portent bien la marque du destin tragique de l’Allemagne au cours de cette moitié de siècle, comme si les meilleurs de ses enfants ne pouvaient être, à l’instar de ses nombreux savants et intellectuels poursuivis par la haine nazie, que les bannis, les persécutés et les exilés.

 

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