L’HISTOIRE DERRIERE LE TIMBRE

  Le 12/12/98 la poste argentine émet un timbre-poste consacré à la Vitrine Commémorative de la cathédrale de Buenos Aires. On observe sur le timbre la couverture d’une "Hagadah de Pessah" avec son titre en hébreu et sa version phonétique française. Ce livret ou Hagadah contient l’histoire de la libération du peuple juif de l’esclavage en Egypte et les rites des deux dîners qui sont célébrés à cette occasion. Quel rapport peut avoir une "Hagadah de Pessah" avec la cathédrale de Buenos Aires ? Pour commencer à l’expliquer, il faut préciser que cette Hagadah de Pessah n’est qu’un des 14 éléments qui composent la dite vitrine selon le détail suivant :

1.      Livre de la "Meguila d’Esther" écrit en hébreu et édité à Berlin, sauvé des décombres de cette ville.

2.      Livre de "Fables en Yiddish", fragment du Sefer Meshalim sauvé des décombres du bâtiment (détruit par l’attentat terroriste du 18/07/94) de l’Association Israélite Mutualiste Argentine (AMIA) de Buenos Aires, 633 rue Pasteur, où il y avait la bibliothèque de IWO (Idisher Wisnshaftlijer Institut).

3.      Hagadah de Pessah de Szlama Dawidowicz, déporté de France à Majdanek le 06/03/1943 où il fut assassiné.

4.      Fragment du Talmud de Babylone en hébreu, sauvé des décombres du bâtiment détruit par l’attentat terroriste cité plus haut.

5.      Livre biblique de Samuel, fragment en espagnol et en hébreu sauvé des décombres du bâtiment détruit par l’attentat terroriste de l’ambassade d’Israël en Argentine, 910 rue Arroyo, le 17/03/92.

6.      Livre de prières commentées, fragment en hébreu sauvé du Ghetto de Vilna en Lituanie.

7.      Livre des Sélihot, fragment en hébreu sauvé des ruines de la synagogue du Ghetto de Varsovie.

8.      Partition musicale du Kadich, fragment sauvé des ruines de la synagogue du Ghetto de Varsovie.

9.      Heiha, fragment hébreux du texte des lamentations de Jérémie sauvé de Lodz en Pologne.

10.  Prière du Hallel, fragment hébreu sauvé du Camp de Concentration d’Auschwitz Pologne

11.  Livre de prières, fragment en hébreu sauvé du Camp de Concentration de Tréblinka en Pologne

12.  Mahzor, fragment en hébreu sauvé de Kartuz Berece.

 

Ces 12 éléments sont complétés par deux plaques de bronze gravées, l’une à l’intérieur de la vitrine et l’autre à sa base, comprenant les textes suivants :

 

13.  "Je crois au soleil même quand il ne brille pas,

Je crois en l’amour même quand je ne le sens pas,

Je crois en Dieu même quand il se tait".

Inscription trouvée sur le mur d’un sous-sol utilisé par les juifs pour se cacher des nazis dans la ville de Cologne en Allemagne. En fait, nous tenons à préciser qu’il s’agit d’une erreur : le texte cité fait partie du livre "Yossel Ralkover  parle à Dieu" de Tzvi kolitz.

14.  A LA MEMOIRE ou IZKOR OLAM (en hébreu) de nos frères juifs massacrés et immolés pendant la Shoah (holocauste) et des martyrs des attentats de lAmbassade d’Israël à Buenos Aires et à l’Association Israélite Mutualiste  Argentine (AMIA). Hommage de l’archevêque de Buenos Aires, Primat d’Argentine, le Cardinal Antonio Quarracino. Hommage rendu le 14/04/97 à Buenos Aires, Argentine. Selon le souhait du Cardinal, fait de son vivant, la vitrine est placée à côté de sa tombe.

 

Il faut attirer l’attention sur le fait que le timbre-poste émis en hommage aux martyrs juifs reproduit en plus du fragment de la vitrine commémorative une partie du frontispice de la Cathédrale de Buenos Aires représentant une scène biblique. "La vente de Joseph par ses frères". Ce texte biblique fut utilisé pour promouvoir jugements et persécutions antisémites pendants les siècles passés.

Le dernier propriétaire de cette Hagadah était Szlama Dawidowicz, jeune polonais né en 1905 à Zloczew, Pologne. Au début de 1929, il quitte la Pologne à la recherche de meilleures possibilités de travail et s’installe à Liège en Belgique. Peu de temps après sa femme Pesa Moszkowicz le rejoint puis  accouche d’une fille, Marie, fin 1929. Szlama, ébéniste de métier, travaille au début dans la sidérurgie des hauts fourneaux et plus tard dans un atelier de meubles dans la banlieue de Liège. Un accident au bras l’empêche de poursuivre son travail. Il est alors employé comme livreur de pains, pendant que sa femme fait des travaux de couture. En 1936, ils déménagent à Bruxelles où ils ouvrent un petit commerce de fruits, légumes et épicerie. Sa femme s’occupe du commerce pendant que lui travaille dans une maroquinerie. Au début de la 2ème guerre mondiale il se présente comme volontaire mais sa demande est refusée parce qu’il est étranger et que la Belgique est un  pays neutre. En 1940, lors de l’invasion de la Hollande et la Belgique,  la famille Dawidowicz traverse la frontière pour la France à destination de Paris. Une fois arrivée, Szlama se présente en tant que volontaire devant le Conseil de Révision. Etant donné la surpopulation de réfugiés à Paris, ils sont envoyés en  Bretagne ou peu de temps après Szlama est mobilisé par l’armée polonaise reconstituée en France dans le Camp de Parthenay (Deux Sèvres). A la fin de la guerre, la famille reçoit  des nouvelles de Szlama. Il est dans un camp de détention pour militaires polonais à Sendets (Bas Pyrénées) où il travaille aux champs. Pesa et sa fille Marie reçoivent l’autorisation de la Commandanture allemande de le rejoindre à Sendets où il travaille dans une ferme. En novembre 1940, les Allemands ordonnent que les ex-soldats  polonais soient transférés au camp des Espagots du 863 ème groupe de travailleurs étrangers de Caylus (Tarn et Garonne). Son épouse et sa fille sont obligés de le suivre sous peine d’être internées au Camp de Concentration civil de Ours. Le père a des permissions pour rendre visite à sa famille, au village de Caylus, en effectuant des travaux domestiques dans des maisons et hôtels de la zone. Szlama travaille au camp en tant que menuisier : le chef du camp est un officier français, le Commandant Normand, qui sera plus tard fusillé par les allemands.

Les prisonniers juifs de la campagne recevaient la veille des festivités de Pessah la visite du rabbin de la ville de Toulouse qui leur offrait une Hagadah dédicacé "Pour les soldats du Camp de Caylus" et signée "Kahlenberg". Szlama conserva la Hagadah et à l’occasion d’une de ses visites à sa femme et à sa fille il l’emmena avec lui et la laissa dans la maison. En juin 1942 les Allemands ordonnent le transfert d’un groupe d’ex-soldats polonais au camp du Clocher près de Guéret (Creuse). A nouveau mère et fille suivent Szlama qui travaille dans des fermes appartenant à des français déportés en Allemagne pour servir au travail forcé. Fin août 1942, Pesa et Marie sont arrêtées avec un  premier groupe de juifs à Guéret. Mais elles sont libérées le 26/08/1942 grâce à une loi qui protège les familles d’ex-combattants. Alors qu’il s’y attendait le moins, le 27/02/1943 deux gendarmes arrêtent Szlama sur le chemin d’une des fermes où il travaille. Les dernières nouvelles de lui datent du 5 mars 1943 et proviennent du camp de Drancy d’où il est déporté à Majdanek et assassiné à l’âge de 38 ans avec 1100 autres juifs. Voici le texte de sa lettre :

 

 " Drancy, le vendredi 05/03/43

Ma très chère Pesa, Marie bien aimée,

Je vous adresse ces quelques mots en vous faisant savoir que je suis arrivé hier à Drancy. Nous repartons demain pour une direction inconnue. Nous étions bien traités pendant le transport, seulement je regrette d’avoir pris tant de bagages à traîner et inutiles. Je suis en bonne santé. J’ai obtenu les médicaments au Camp de Nixon que le Dr Jannicot m’avait prescrit à Guéret. Prenez courage, j’en ferai autant. Avec l’espoir de se revoir le plutôt possible. Dites un bonjour à tous mes amis et à tous ceux qui demandent après moi.

Je vous embrasse bien fort.

Votre papa.

Dawidowicz Sz."

 Jusqu’à la libération de la France, Pesa et Marie survivent en fuyant les rafles grâce à l’aide de ses voisins de Guéret qui les cachent dans leur maison et les préviennent des arrestations possibles.

En plus des lettres et des documents, la Hagadah est l’un des rares souvenirs que Marie conserve aujourd’hui de son père.

Les timbres-poste cachent parfois des histoires comme celle-là, histoires que les philatélistes, auxiliaires de l’histoire, aident à découvrir.  

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